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Titre de la page racontant le chalet Ker Avel, de Bourg de Batz au début du XXe siècle

Bourg-de-Batz — L’histoire de Ker Avel sur la plage Valentin

Aller en haut de page Ker Avel, titre de la chronique

Le chalet

L’Hôtel de la Plage que madame Boju avait fait construire au bord de la plage Valentin, en remplacement des bains Valentin, n’était que la première étape de l’aménagement des quelque quarante-cinq hectares de dunes sur lesquels elle voulait bâtir une ville nouvelle dédiée aux baigneurs.

Chalet dessiné par Auguste Oradour à Athis-Mons.
Collection Jean-François Caillet

« Ker Avel1 », chalet situé près de l’hôtel, dont il est aujourd’hui séparé par une école de voile, est le premier chalet commercialisé sur le bord de la plage. À cette époque, sur les 1 100 mètres de Valentin, étaient construits, en partant de la pointe de Pen-Castel2 : le château de Saint-Nudec du baron Caruel de Saint-Martin, l’Hôtel de la Plage, « Ker Charlotte » appartenant à Charles Lehuédé, ancien maire, et « Les Roches grises » d’Anatole Filloche. Ces deux derniers chalets étant à l’autre extrémité de la plage, près de la pointe de Casse-Caillou.

Ker Avel est construit vers 1905, selon les plans établis par l’architecte parisien Auguste Oradour. Après de solides études, il commence sa carrière d’architecte. Il réalisera le pavillon de la Guyane, lors de l’Exposition coloniale de 1931, ce qui lui vaudra d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur. L’architecture extérieure de « Ker Avel » sera déclinée à plusieurs reprises par Auguste Oradour : un chalet nommé « les Iris », présenté dans un document projet de lotissement de la plage s’en inspire fortement, ainsi qu’un autre chalet, construit à... Athis-Mons !

Le chalet est à l'étroit avec les 250 mètres carrés de la parcelle sur laquelle il a été construit et, juste avant la Seconde Guerre mondiale, René Sourty profite de la mise en vente de terrains par la veuve de François Launay pour acquérir 200 mètres carrés supplémentaires. Ultérieurement, un nouvel achat portera la superficie à un peu plus de 900 mètres carrés.

Aucune modification notable n’a été apportée au chalet depuis sa construction et sa vue extérieure est identique à celle des premières photographies le représentant.

La famille d’Arthur Rouzeau devant Ker Avel en 1908.
Collection Jean-François Caillet

Les propriétaires

En plus d’un siècle d’existence, Ker Avel n’a connu que trois propriétaires différents.

Arthur Rouzeau

La carte postale ci-contre montre la famille du premier occupant, Arthur Rouzeau, posant devant le chalet qu’il vient tout juste d’acquérir. La très discrète pancarte « À vendre », au-dessus de la fenêtre du rez-de-chaussée, n’a pas encore été enlevée. D’après l’âge du bébé dans les bras de Léa Dubois, la « bonne d’enfants », la photographie a été prise au cours de l’été 1908. La famille est au complet, Arthur Rouzeau et Eugénie Heurtebize à droite ; à gauche, la cuisinière, Marie Thuau et la bonne d’enfants portant Jean Rouzeau dans ses bras ; entre eux, de gauche à droite, les enfants : Renée devant Lucienne, Élisabeth et, enfin, Auguste derrière Bernard.

C'est dans la boulangerie qu'Arthur Rouzeau commence sa vie professionnelle. En 1891, sitôt les quatre années de son service militaire terminées, il émigre vers Paris, où il séjourne deux années, au jour près, au pied de l'église Saint-Eustache. Il revient ensuite à Évron, où il épouse Eugénie Heurtebize. À l'époque de la prise de vue de la carte ci-contre, Arthur Rouzeau, âgé de 43 ans, a repris et développé le commerce de nouveautés de son beau-père, Auguste Heurtebize et il est négociant en draperie.

Il souhaite disposer d’un pied-à-terre proche du sanatorium de Pen-Bron, situé en face du Croisic, où son fils, Bernard, est soigné. Le lieu peut paraître éloigné de l’établissement de soins, mais au xixe siècle le chemin le plus direct avec Guérande suivait ce trajet et un bac assurait la traversée du Croisic à Pen-Bron3. Au début du xxe siècle, le bac était encore couramment utilisé et son usage perdura jusqu’aux années 19604.

Le bac et la jetée de Pen-Bron — En face, le Croisic.
Collection Jean-François Caillet

En complément du bac, un omnibus assurait un service régulier entre la plage Valentin et le Croisic, proposant deux allers-retours le matin et quatre l’après-midi, pendant la saison.

À la mort d’Arthur Rouzeau, vers 1931, décision est prise de vendre la maison.

René Sourty

Originaires ou installées à Évron, dans la Mayenne, les familles Rouzeau et Sourty se fréquentent et les enfants Sourty font fréquemment des séjours à Valentin. René Sourty, intéressé par l’achat d’une villa, se porte acquéreur de Ker Avel.

Comme Arthur Rouzeau lors de son achat, il a alors 43 ans et réside à Cuillé, commune située dans la Mayenne, à l’opposé d’Évron par rapport à Laval, où il exerce la profession de notaire depuis une petite vingtaine d’années et le restera jusqu’en 1944, au moins.

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René Sourty

René Sourty naît à Évron en 1890. Son père est alors cafetier et participe activement à la vie sociale de la commune ; lieutenant pompier, il sera nommé au bureau départemental des sapeurs-pompiers de la Mayenne.

Photographie de René Sourty, ancien propriétaire de «Ker Avel».

Photographie de René Sourty, ancien propriétaire de
«Ker Avel».
Archives Dominique Sourty

À la fin des deux années de son service militaire, en novembre 1913, René Sourty ne revient pas à Évron, mais s’installe à Montfort-le-Rotrou*.

Mobilisé dès le 3 août 1914, il restera sous les drapeaux pendant toute la durée de la guerre, tout d’abord dans l’infanterie, puis dans le service radio­télé­gra­phique du Génie.

Démobilisé en août 1919, décoré de la croix de guerre étoile de bronze pour acte de courage en tant que chef de poste radio avancé, il revient vivre à Évron, place de la Mairie.

Le dimanche 1er juin 1924, René Sourty s’installe à Cuillé, où il vient d’être nommé notaire, le 28 mai.



Note :
* : aujourd’hui regroupée dans Montfort-le-Gesnois, cette commune est située à l’est du Mans, à environ 70 kilomètres d’Évron.

Malheureusement, à peine René Sourty a-t-il acheté Ker Avel qu’une catastrophe ravage la plage Valentin. Le sable de la plage, déséquilibré par des enlèvements antérieurs, sapé par la grande marée de mars 1934, est entraîné vers le large. Près de l’Atlantic-Hôtel, lui-même menacé, une large brèche de 180 mètres s’ouvre dans le mur de protection construit par madame Boju, une autre au milieu de la plage, alors que dans la partie méridionale au-delà de la rue Appert, le mur est totalement détruit sur 300 mètres, jusqu'à Casse-Caillou.

Ker Avel et le chalet Les Roches grises de monsieur Robineau voient leur environnement attaqué. Leurs propriétaires décident, conjointement avec deux autres propriétaires, d’intenter un procès à la municipalité devant le conseil de préfecture. Ils considèrent que l’abaissement du niveau du sable est dû à des prélèvements inconsidérés, réalisés avec l’autorisation de la municipalité, notamment en 1926 et demandent réparation.

Mais le tribunal ne se range pas à cet avis et les demandeurs sont condamnés aux dépens.

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Sable et plage

Contrairement à une idée reçue couramment partagée, le sable ne provient pas essentiellement de l’érosion des rochers, mais est apporté par les fleuves. Ici, il résulte de la désagrégation du plateau central que traverse la Loire supérieure et son plus fort affluent, l’Allier, à laquelle s’ajoute l’érosion des berges.

Au début du xxe siècle, le volume des sables passant annuellement sous les ponts de Nantes était estimé à 400 000 mètres cubes environ*. Les prélèvements de sable dans le lit de la Loire ont été pratiquement interdits pour lui éviter un creusement excessif et protéger également les plages par contrecoup.

D’autre part, dès les années 1880, le dragage de la barre des Charpentiers, au large de Saint-Nazaire, destiné à permettre l’accès du port aux transatlantiques, avait déjà déstabilisé l’écosystème et entraîné un creusement de la plage.

En 1921, la Société Archéologique de Nantes déplorait, lors d’une visite d’étude sur le littoral, « les conséquences désastreuses (creusement des plages, envasement des baies, arrivée des eaux douces et des limons de la Loire) du creusement de la barre des Charpentiers, substituant un chenal artificiel à l’ancien chenal naturel ».



Note :
* : source : Revue des Deux Mondes, tome 157, 1900.

Particulièrement bien situé, pendant la guerre, le chalet est occupé par les Allemands. Il va sans dire que son entretien ne fait pas partie de leurs centres d’intérêt.

Alors qu’il était l’un des rares chalets ayant échappé à la vague des cambriolages des années 1941 et 1942, l’intérieur est ravagé, après le passage des Allemands. Des pillards se sont servis et l’ameublement intérieur a quasiment disparu ; le superbe vitrail décoratif a été détruit, des poutres sciées et l’escalier en chêne « récupéré ».

L’immeuble est encore dans un état pitoyable en 1948. Le gros œuvre en revanche n’a subi aucun dommage notable, mais la maison a perdu son âme et décision est prise de s'en séparer.

Un entrepreneur de travaux publics de Nort-sur-Erdre, nommé Jugeur, restaure la villa, mais il n’apparaît pas en tant que propriétaire dans les documents du cadastre. Peut-être ne fût-il que l’entrepreneur en charge de la remise en état.

Pierre Guislain

Au début des années 1950, le chalet est acheté par Pierre Guislain, docteur vétérinaire à Marigny en Saône-et-Loire et devient durablement une maison de vacances « de famille ».

24 août 2018



Notes :
1.Si avel désigne clairement le vent en breton, des chamailleries règnent sur le sens de ker : maison d’après les touristes, chez pour certains indigènes.
2.Pour une raison obscure, le nom de Pen-Castel se prononce localement « Penne » Castel, et non « Pain » Castel. En revanche, la pointe de Penchâteau se prononce « Pinchâteau », orthographe fréquemment utilisée au xixe siècle, ce qui lève toute ambiguïté de prononciation, et Pen-Bron se prononce « Pinbron »...
3.La traversée n’était pas toujours de tout repos, comme le mentionne Édouard Richer, en 1823 : « Le passage du Traict, quoique si près du Croisic, est fort incommode. [...] Souvent le mauvais tems ne permet pas de passer. Quand le vent souffle fortement de la partie sud, il est difficile d’aborder. Il y a quelques années, le bateau fit naufrage et plusieurs personnes se noyèrent. [...] Le batelier se tient de l’autre côté [de Pen-Bron], il faut quelquefois l’appeler long-tems avant de le voir arriver. Si on y arrive le soir, le signal donné au batelier est une lanterne [...] qui avertit le batelier, qui se met en route, s’il n’a pas laissé échouer son embarcation, ou si vous n’êtes pas arrivé après l’heure à laquelle il lui est permis de se coucher tranquillement et de vous laisser passer une nuit entière à l’attendre. » [L’orthographe d’origine a été respectée].
4.En 1910, l’aller-retour en canot automobile, entre la poissonnerie du Croisic et la jetée de Pen-Bron, coûtait 30 centimes.

Cette page a été réalisée avec le concours
de Guy Guislain et Dominique Sourty


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